Appartement M

Paris 65 m² Rénovation complète


Avant travaux : La demeure de Chloé

A l’endroit où les fleuves se jettent dans la mer il se forme une barre difficile à franchir et de grands remous écumeux où dansent les épaves. Boris Vian, L’écume des jours

C’est un appartement typique du Marais, vous savez, de ces appartements de la fin du 18ème dont on peut apercevoir, depuis la rue, les poutres en bois apparentes du plafond et qui font baver d’envie le promeneur. L’emplacement est idéal, Rue du foin, une petite et discrète artère perpendiculaire à l’axe de la place des Vosges, circulation à la fois bien intégrée dans son quartier mais aussi mise au calme de l’agitation si particulière à cet arrondissement.

Ainsi présenté sur le papier, de quoi faire profondément rêver notre promeneur de lieux attrayants… Pourtant, si le même avait mis les pieds dans ce petit appartement avant sa rénovation, il aurait sans doute trouvé bien des choses à redire. L’agent immobilier avait dû avoir un certain fil à retordre pour vendre ce bien là. Et pas des moindres : qu’importe son baratin, il ne pouvait dissimuler, lors des visites des particuliers, l’oppression que ne pouvait manquer de susciter l’espace de cet appartement.

On suffoque dès l’entrée, et justement du fait de ces poutres tant convoitées. Car à peine la porte palière franchie, on se rend compte que l’on peut les voir d’assez près… et pour cause : elle s’élèvent à peine à 2.30m au dessus de la tête et pèsent lourdement de leur vernis sombre.

On dépérit de la même façon en poursuivant dans le séjour : les fenêtres de 1.80m de haut sont posées à même le sol, sans allèges et elles donnent la désagréable impression d’une large ouverture qui paradoxalement ne fait pas rentrer assez de lumière. Une forme d’absurde à la Boris Vian ! Qui mesure 1.70m et plus ne perçoit jamais l’extérieur, le regard bloqué par les menuiseries.

L’asphyxie est pour la fin de la visite puisque la chambre et la salle de bains sont desservies par ce long et étroit couloir, complètement aveugle et qui ne craint pas de mesurer près de 7m.

Let just make it clean !

En sollicitant l'agence, conscient de la rigidité induite par la typologie en L de cet appartement, le maître d’ouvrage résuma son cahier des charges par juste quelques mots en anglais : Let’s just make it clean. C’était bien là le moins que l’on puisse faire !

Puisqu’il était suggéré d’aborder les choses en anglais, comme essentiel objectif le projet s’est proposé de prendre l’orthographe de couloir au mot mais de l‘interpréter en cool_oir. De changer le couloir — un lieu fermé, sombre et réduit à sa seule fonctionnalité, celle de « passer» — en cool_oir, d’en faire un espace de transition entre la pièce à vivre ouverte et l’intime de la chambre, un espace qui accompagne chaleureusement tout aller et retour et dans lequel se dégagerait la fraîche sensation que l’on a repoussé les murs. Et de susciter par là pour un jeune couple le scénario parfait d’une vie quotidienne sans complications.

Le plan ramène alors simplement la distribution de la salle de bains et de la chambre du côté de la lumière. De là décoole cette grande et belle diagonale, qui traverse de part en part l’appartement. Outre l’effet spatial de profondeur qu’elle induit, elle offre aux occupants de pouvoir saisir la bonne distance aux fenêtres, celle qui permet enfin au regard de s’échapper sur l’extérieur, l’aménagement rectifiant ce qui dans cette habitation était un défaut.

Le reste n’est que mise en musique. L’entrée est simplement marquée par quelques étagères, qui la séparent de la pièce à vivre. Profitant désormais de la fenêtre sur cour, le séjour devient traversant ; il gagne en profondeur et en luminosité. La cuisine s’articule autour d’un meuble colonne autour duquel se regroupent tous les équipements du cuistot pour une fonctionnalité optimale. Son plan de travail, généreux, s’étire jusqu’à la table de la salle à manger. Enfin, le bar, central, fédère cuisine, salle à manger et séjour.



Logique hédoniste et plaisirs quotidiens

Entre la nuit du dehors et la lumière de la lampe, les souvenirs refluaient de l’obscurité, se heurtaient à la clarté et, tantôt immergés, tantôt apparents, montraient leurs ventres blancs et leurs dos argentés.. Boris Vian, L’écume des jours

En un peu plus de deux mois de travaux, l’essentiel du projet est là, et l’attention portée à l’importance des «petites choses» du quotidien apparaît enfin !

Le cool_oir fonctionne à merveille. Côté chambre, son axe cadre une des fenêtres du séjour. Côté séjour, son rétrécissement permet de préserver la chambre des regards volontairement indiscrets.

La chambre, côté cour, profite du calme. A cet endroit, l’immeuble est agrémenté de lierre en façade ce qui donne à la pièce une ambiance provinciale. Et permet de se sentir, pour quelques instants, et ce alors que nous sommes à deux pas de la place des Vosges, comme dans une de ces chambres d’hôtes cosy qui bordent nos campagnes. Au sol, un parquet en chêne conforte cette atmosphère douce et chaleureuse. Attenant à la chambre, un bloc courbe regroupe salle de bains et tartisse.

La pièce principale déploie, avec des matériaux nobles, une ambiance diaphane, simple et enchanteresse. Une résine autolissante au sol réunit séjour et cuisine, et réfléchit avec luxe chaque rayon de lumière qui entre dans la pièce.

La cuisine s’étire linéairement jusqu’à la façade sur rue. Le plan du bar en corian se déploie gracieusement comme une nappe en bandeau qui, au mépris des verres renversés, n’aurait jamais besoin de passer à la machine à laver.

Au plafond, les poutres ont été peintes en blanc. Elles disparaissent pour moitié sous un faux plafond, dont le dessin en courbe brise la monotonie imposée à l’espace.